La responsabilité des banques face aux escroqueries : un revirement de jurisprudence majeur et ses conséquences rétroactives

La responsabilité des banques face aux escroqueries : un revirement de jurisprudence majeur et ses conséquences rétroactives

Jurisprudence de la Cour de cassation du 15 janvier 2025, pourvois n° 23-13.579 et 23-15.437

Le 15 janvier 2025, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a rendu deux arrêts marquants concernant la responsabilité des banques en matière d’escroqueries, notamment celles impliquant des falsifications d’IBAN.

Ces décisions opèrent un revirement de jurisprudence significatif, remettant en cause des principes établis depuis plusieurs années et entraînant des répercussions substantielles sur l’accès à la réparation des préjudices des victimes.

Dans ces affaires, les victimes avaient engagé des actions en responsabilité contractuelle contre leurs établissements bancaires, afin d’obtenir réparation des dommages subis à la suite d’escroqueries.

Jusqu’alors, la jurisprudence admettait, dans certains cas, la responsabilité des banques en raison de leur obligation de vigilance.

Ce fut notamment encore le cas très récemment, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 octobre dernier (2 octobre 2024, Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique – Pourvoi n° 23-13.282).

Cependant, par ses arrêts du 15 janvier 2025, la Cour de cassation a restreint cette possibilité, excluant l’application de la responsabilité contractuelle du Code civil au profit d’une interprétation plus stricte du Code monétaire et financier (articles L. 133-18 à L. 133-24).

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Le principal enjeu soulevé par ces décisions réside dans leur effet rétroactif.

En effet, la Cour de cassation a rappelé que, lorsqu’un revirement de jurisprudence intervient avant qu’une décision irrévocable n’ait mis fin au litige, le juge doit réexaminer la situation des parties au moment de l’exercice d’une voie de recours (Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 avril 2021).

De ce fait, les victimes ayant engagé des actions sur la base de l’ancienne jurisprudence risquent de voir leurs recours rejetés, car fondés sur des principes désormais écartés. Cette application rétroactive prive ainsi un grand nombre de victimes de la possibilité d’obtenir réparation.

La rétroactivité d’une décision judiciaire pourrait s’analyser comme une atteinte à la sécurité juridique et à la confiance légitime des justiciables.

Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans l’affaire Sen et autres c. Turquie (14 février 2012), a précisé que « les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante » et que « le fait dopérer un revirement de jurisprudence relève du pouvoir discrétionnaire de toute juridiction ».  

En d’autres termes, la CEDH admet que les juridictions modifient leur jurisprudence, même si cela peut affecter la sécurité juridique, à condition que cette atteinte soit proportionnée et nécessaire pour permettre l’évolution du droit.

Dès lors, bien que la rétroactivité de la décision de la Cour de cassation puisse soulever des inquiétudes en matière de sécurité juridique, elle peut être justifiée par la nécessité d’adapter le droit aux évolutions sociales et juridiques.

 

Ainsi, il est fort probable que cette nouvelle jurisprudence s’appliquera aux procédures déjà engagées, ce qui privera les victimes fondant leurs actions sur l’ancienne jurisprudence de tout recours effectif.

Cela a d’autant plus de conséquences pour les victimes que les procédures pénales relatives aux escroqueries bancaires aboutissent fréquemment à des résultats insatisfaisants. En effet, les enquêtes sur les fraudes, notamment celles impliquant des falsifications d’IBAN ou des piratages bancaires, se heurtent à des obstacles techniques considérables, liés à la complexité des réseaux informatiques et à la difficulté de localiser les auteurs des infractions.

Dès lors, peu de responsables sont identifiées et donc, condamnés pénalement, laissant les victimes sans indemnisation.

Avant le revirement de jurisprudence, les recours en responsabilité civile contre les banques constituaient la principale voie d’indemnisation. Toutefois, cette solution est désormais rendue bien plus complexe par la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, telle qu’établie par les arrêts du 15 janvier 2025, mettant ainsi les victimes dans une situation particulièrement délicate.

En écartant la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle des banques, la Cour restreint considérablement l’accès des victimes à un recours direct.

Conclusion : Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, excluant la responsabilité contractuelle des banques en matière d’escroquerie, favorise clairement les établissements financiers. Cette décision soulève toutefois des préoccupations majeures pour les victimes d’escroqueries bancaires, qui se retrouvent désormais sans recours effectif, alors même que les procédures pénales demeurent rares et inefficaces. Bien que la volonté de la Cour d’assurer une stricte application du Code monétaire et financier soit compréhensible, elle soulève néanmoins des questions essentielles concernant l’accès à la justice pour les justiciables, dans un contexte où les fraudes bancaires se multiplient et se complexifient. D’autant plus que cette jurisprudence s’appliquera rétroactivement aux procédures déjà engagées, alors que les recours fondés sur la responsabilité contractuelle étaient encore admis par les juridictions.


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